L'âgisme, un autre fléau à combattre en entreprise et un enjeu de cohésion intergénérationnelle

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Judith Tripard

Plume invitée - DRH au sein du studio de gaming sur mobile Oh BiBi, Judith a une forte expérience en recrutement (en cabinet de recrutement et également chez TF1 en tant que Directrice du Recrutement), et dans les ressources humaines. Elle a accompagné de nombreuses startups en croissance dans le cadre de sa fonction de Head of talent en fonds d’investissement.

En cette période de réforme des retraites, on a beaucoup entendu parler des difficultés d'emploi des personnes dites “seniors”, des réticences des entreprises à les embaucher, et le mot “âgisme” a fait son apparition dans les médias (il était temps !). Mais de quoi parle-t-on ? Quelle est l’ampleur réelle du phénomène ? Comment aborder le sujet en tant que recruteur.euse ?

Il n’y a pas de texte officiel pour déterminer qui est “senior” dans le milieu professionnel. L’âge considéré peut en réalité vraiment varier. Les statistiques européennes définissent quelqu’un comme senior à partir de 55 ans, les plans d'action seniors au sein des entreprises à partir de 50 ans en général. Il y a le fameux entretien de milieu de carrière à partir de 45 ans, qui est plutôt perçu comme le début de la fin malheureusement, puisque l’un des objectifs affichés était de sensibiliser aux enjeux du vieillissement au travail (oui à 45 ans !)! Et dans la tech ? Il n’y a bien sûr rien d’officiel, mais on peut aisément affirmer qu’on commence à être senior dès 35 ans dans les startups…

La réalité, c’est que je déteste ce mot senior qui est utilisé dans différents contextes car on parle tout aussi bien de personne senior à partir de 5 ans d’expérience pour désigner une expérience acquise dans un domaine. C’est positif dans ce cas là d’être senior, mais cela ne l’est plus quand il s’agit d’âge.

L'âge fait partie des premiers motifs de discriminations ressentis par les salariés avec le genre, l’origine ou la couleur de peau, l’état de santé ou le handicap, et l’apparence physique. Concernant l'emploi des personnes de plus de 55 ans, la France est particulièrement en retard par rapport aux autres pays européens (56 % en 2021 contre 60,5 % dans l’Union Européenne).

L'âge est soumis à de nombreuses idées reçues.

Le coût déjà. On imagine que les personnes dites “seniors” seront plus chères et n’auront pas envie de revoir leur salaire à la baisse. Pourquoi c’est un préjugé ? Car tant qu’on ne leur a pas demandé, on ne connaîtra ni leurs prétentions salariales ni leur possibilité d’ajuster leurs prétentions salariales.

Le manque d’énergie et d’engagement. On s’imagine que l’âge de la retraite approchant, les personnes dites “seniors” auront moins d’énergie, moins d’envie concernant le travail. Encore une fois, il n’y a aucun lien direct. Que ce soit à 50 ou 55 ans, les années sont encore longues avant l’âge de la retraite ! L’âge chronologique est à décorréler de l’état de santé physique et mentale d’un individu. Pourtant, parmi les nombreux stéréotypes liés au vieillissement, on considère les personnes plus âgées comme vulnérables et plus faibles.

Les difficultés avec les nouvelles technologies et les outils actuels de communication. À ce sujet, la tech avait peut-être une cible majoritairement jeune il y a quelques années, mais ce n'est plus le cas : la tech est partout. À titre d'exemple, l'âge moyen des utilisateurs de Facebook est supérieur à 40 ans. Plus tôt l'industrie affrontera et corrigera les préjugés, plus tôt elle réalisera les opportunités commerciales à venir.

Il est à noter que les femmes sont victimes de façon encore plus systématique de discrimination liée à l’âge, notamment à cause des normes de beauté puisque les femmes sont souvent jugées sur leur apparence physique (à ce sujet, je vous invite à lire le livre de Charlotte Montpezat, “Les Flamboyantes”).

Ces discriminations n’ont d’ailleurs pas uniquement lieu au moment du recrutement. Elles peuvent également survenir au moment de la rupture du contrat de travail, de la mobilité interne, de la formation professionnelle, des augmentations de la rémunération. En France, l’âgisme au travail se manifeste énormément dans la gestion des parcours professionnels lors de la seconde partie de carrière.

Aucune compétence n’a un lien avec l’âge a priori. On peut avoir les compétences nécessaires pour un poste à n’importe quel âge ; ce qui va changer c’est le niveau d’expérience, de compétence, de performance.

Tous les salariés devraient être traités de la même manière, équitable et respectueuse, indépendamment de leur âge, sans être marginalisés ou discriminés. Les expériences et les savoir-faire devraient être mieux valorisés

Pour lutter contre l’âgisme, l’action prioritaire à mener en entreprise et à tous les niveaux de l’organisation est la sensibilisation aux biais cognitifs. Ces biais, on les a toutes et tous. Je vous invite à faire le test avec un outil très puissant développé par l’Université de Harvard, le Test d’Association Implicite (https://implicit.harvard.edu/implicit/takeatest.html)

Cette étape "d'éveil" est fondamentale. Une fois que l’on retire nos œillères, tout devient possible !

Pour aller beaucoup plus loin, une trentaine de grands groupes ont signé en mars 2022 une Charte sur la non-discrimination liée à l’âge, en s’engageant à une meilleure proactivité concernant l’emploi des personnes de plus de 50 ans (cf encart ci-dessous).

Pour conclure, l’adaptation au vieillissement de la population est un enjeu sociétal majeur.

Nous y serons toutes et tous confronté.e.s un jour…

Acte d’engagement sur la place des collaborateurs de plus de 50 ans en entreprise

(Charte sur la non-discrimination liée à l’âge)

1. Communiquer à l’ensemble des collaboratrices, des collaborateurs et à la ligne managériale, les engagements de cet acte. Sensibiliser à l’importance du bien vivre ensemble, à la force de l’intergénérationnel et lutter contre les stéréotypes liés à l’âge dans le respect des valeurs de l’entreprise.

2. Agir en toute bienveillance et respect avec l’ensemble de nos collaboratrices et nos collaborateurs, tout au long de la carrière professionnelle, quel que soit leur âge.

3. Accompagner le développement des compétences et encourager les collaboratrices et les collaborateurs à s’engager sur des actions de développement de leur employabilité et à s’ouvrir à de nouvelles perspectives de carrière.

4. Recruter des personnes à toutes les étapes de leur carrière, offrir des opportunités tout au long de la vie professionnelle pour permettre à chacun (e) de travailler dans un environnement inclusif jusqu’au départ à la retraite.

5. Favoriser la transmission des savoirs et le partage d’expérience entre les générations en mettant en place des dispositifs dédiés.

6. Valoriser les collaboratrices et les collaborateurs expérimentés, mettre en lumière des parcours inspirants et des rôles modèles pour faire évoluer la perception sur l’âgisme.

7. Proposer un accompagnement adapté et individualisé sur les aspects de santé et de bien-être au travail tout au long de la carrière*.

8. Accompagner et soutenir les collaboratrices et les collaborateurs aidants.

9. Accorder une attention particulière à la préparation et à l’accompagnement du départ à la retraite (dispositifs de transition). Au moment du départ, remercier les collaboratrices et collaborateurs en célébrant et en saluant leur carrière.

10. Après le départ, pour celles et ceux qui le souhaitent, l’entreprise peut proposer de conserver le lien notamment par les Alumnis, ou favoriser un engagement associatif.

*notamment liés à la ménopause, à l’andropause…